Jacques Brel

 1975
"Et la nuit bleu à bleu..."

En janvier, après 27 jours de mer, l'Askoy jette l'ancre dans la baie de Fort-de-France.
De février à juillet, Jacques Brel fait du cabotage dans les Antilles avant de rejoindre le Canal de Panama.

En novembre, l'Askoy atteint la baie d'Atuona à Hiva Oa dans l'archipel des Iles Marquises après 59 jours de traversée à travers le Pacifique.

 

 

1976

"La vie ne fait pas de cadeau"
En février, Jacques Brel se soumet à des examens médicaux à Bruxelles.
En juin, il loue une petite maison à Atuona sur l'île d'Hiva-Oa après avoir vendu l'Askoy.

Celle-ci, hélas, n’existe plus aujourd’hui.

En juillet, Jacques Brel décide de repasser une qualification de pilote et suit des cours avec son ami pilote Michel Gauthier qui vit toujours à Taravao sur la presqu’île de Tahiti.

Il achète un bimoteur qui lui permet d'aller plus facilement d'Hiva Oa à Tahiti.

 1977

"Gémir n'est pas de mise ..."
En juillet, Jacques Brel revient à Paris pour enregistrer de nouvelles chansons chez Barclay.

Le 17 novembre, sortie de son dernier disque.

En décembre, Jacques Brel revient aux Marquises.


 1978

"Bien sur, il y a nos défaites
Et puis la mort qui est tout au bout..."
De janvier à juin, Jacques Brel est à Atuona aux Iles Marquises. Sa santé se détériore.
En juillet, Jacques Brel revient à Paris pour suivre un nouveau traitement.
Le 7 octobre, Jacques Brel est très malade et entre à l'hôpital Franco-Musulman à Bobigny dans la région parisienne. Il souffre d'une embolie pulmonaire.

Le 9 octobre, il meurt à 4H10 du matin.

Il est enterré sur l'île d'Hiva Oa -
à quelques mètres de Gauguin.

 

Vue de l’océan depuis le cimetière d’Atuona

 

Brel par Brel (1961)


Il vient de chanter à l'Olympia où il battu tous les records de la Saison à Paris, une des plus brillantes de ces dix dernières années. Il est maintenant "l'un des plus grands". Pour les lectrices de "Marie-Claire, Belgique" (décembre 1961), il a raconté à Marie-France Wagner ses débuts difficiles, alors qu'il n'était qu'un cancre, un être insupportable, difficile ...

Je suis né le 8 avril 1929. J'aurais dû normalement naître au Congo où mes parents ont vécu vingt-cinq ans. Mais c'est aux environs de Bruxelles, à Schaerbeek, que j'ai poussé mon premier cri. J'étais à cet âge très doué pour les vocalises. Papa vendait du carton, il s'était associé avec mon oncle. Nous, la famille, nous étions installés en banlieue. Ma maison : je ne m'en souviens pas très bien. Je sais qu'il y avait beaucoup de tapis, il y en avait partout. C'est de là que remonte mon premier souvenir d'enfance. Je devais avoir trois ans, quand un jour ma tante Annette m'offrit un avion, un avion tout rouge, aussi rouge que le visage de tante Annette ; je l'adorais. J'aimais beaucoup cette maison, pour moi ce fut un drame quand il fallut la quitter.
Mes parents sont allés s'installer dans un appartement, boulevard Belgica. C'est à cette époque que l'on m'a mis pour la première fois à l'école. Le jour de la rentrée, j'ai tellement hurlé, j'ai tellement pleuré, j'ai tellement tapé du pied, que ma mère m'a ramené à la maison. Je crois que j'ai reçu ce jour-là la plus belle fessée de ma vie. Cette année-là, je suis allé très peu à l'école, cela m'ennuyait beaucoup trop. De nouveau nous avons déménagé. Cette fois ma mère me mit chez les bonnes sœurs, rue de Lourdes, et là j'y suis resté, j'ai même accepté de travailler. Je dois aux bonnes sœurs de savoir parfaitement mes tables de multiplication. Ensuite, on m'a placé dans une école de Frères. J'étais un élève très médiocre, le programme scolaire me paraissait dénué de tout intérêt et je préférais rêver ou fabriquer des lance-pierres derrière mon pupitre.


En 1940, je rentrai en 6e. J'avais un professeur qui était un Français de Toulouse, il s'appelait Bertrand. Nous l'avions surnommé "N'a qu'un-œil". Le pauvre homme était borgne, mais il aimait la poésie, il se tuait à nous faire comprendre que c'était une jolie chose, alors que nous, qui n'avions que dix ans, nous nous en moquions éperdument. Aujourd'hui, cependant, je me rends compte que j'ai eu envie d'écrire grâce à lui, d'écrire grâce à lui, d'écrire mon premier poème et ensuite, d'écrire ma première chanson. Son langage me plaisait, il était le seul de mes professeurs à ne pas avoir l'accent prononcé de la province. Très vite, il fut obligé de rentrer en France à cause de la guerre. Moi, j'ai continué à écrire en pensant souvent à lui ; j'aurais tellement voulu le revoir. Je continuai mes études, qui devenaient de plus en plus médiocres. J'ai tout du reste redoublé toutes mes années. Ce qui comptait pour moi, c'était la bande, les copains. J'aimais aussi jouer la comédie avec un groupe du collège. Je faisais du football, du vélo, j'étais un démon, je ne pouvais jamais rester en place. Mes camarades m'avaient appelé "la Bougeotte", j'étais de tous les coups. J'étais survolté, impossible. Mes études en ont souffert mais j'ai quand même essayé de passer mon bac lettres, j'ai échoué, j'ai essayé de passer mon diplôme d'études commerciales, j'ai échoué encore une fois.
Mon père commençait à vieillir. Il me donna ma chance et me fit entrer à l'usine. Il voulait faire de moi un industriel, capable de lui succéder. Tout en travaillant, j'avais décidé de faire partie d'un mouvement de jeunesse. Nous allions tous ensemble le dimanche chanter dans les sanas, pour les malades. J'étais toujours en tête.
C'est dans ce mouvement de jeunesse que j'ai rencontré pour la première fois ma femme. Le soir du réveillon 1950, j'étais décidé, je demandais à Thérèse de m'épouser, j'avais alors vingt-et-un ans.
Nous nous somme mariés tout de suite. J'ai continué à apprendre à fabriquer et vendre du carton. Ce n'était pas très compliqué, mais à la longue ce n'était pas non plus très passionnant. Cette épreuve a duré cinq ans. Je me sentais vieillir très vite, chaque soir je confiais à Thérèse ma lassitude. Un jour je lui ai posé la question :- Thérèse, je ne suis pas heureux, j'ai envie de chanter, d'écrire, de composer, de faire quelque chose ... quoi ! J'ai envie d'essayer de tenter ma chance. Thérèse m'a sourit gentiment. - Jacques, mon Jacques, je te veux heureux, tu dois essayer, tu dois réussir. La décision fut prise et je suis parti vers l'aventure avec tout l'amour de Thérèse, de Thérèse qui fut et qui est toujours pour moi le meilleur des publics. Oui, à ce moment-là, je jouais un peu de la guitare et j'écrivaillais quelques mauvais textes. C'était tout. Une fois seulement j'ai participé à un concours, les concours ne m'ont jamais réussi, je fus lessivé, rejeté, j'étais perdu.

J'ai également enregistré pour Philips, à Bruxelles, deux chansons. Mais ce n'était rien. Je savais que pour réussir, pour réussir vraiment, une seule ville comptait : Paris. J'ai pris un billet de 3e classe. Je n'avais pas les moyens. Dans le compartiment, j'ai avalé le sandwich que Thérèse m'avait préparé avant le départ. Je ne retrouverai jamais plus le goût de ce sandwich. Il était parfumé à l'aventure, à l'espoir, au bonheur.
Je suis allé directement voir M. Canetti, le directeur de la maison d'édition. Je ne savais pas du tout qui était M. Canetti. Je suis entré dans son bureau, il a eu l'air étonné. Je lui ai chanté mes chansons et je suis retourné à Bruxelles.
J'ai attendu patiemment. Puis, un jour, j'ai reçu une lettre à en-tête ; un bon rapport me disant que je pouvais essayer. A moi de réussir.
Je suis revenu m'installer à Paris, laissant Thérèse et mes deux filles. J'avais le cafard, mais il le fallait. J'ai fait mes tous premiers débuts aux "Trois baudets". La première soirée s'est très mal passée. Le public n'a pas réagi, c'était affreux. Les gens bâillaient ou discutaient entre eux sans me regarder ni m'écouter. Ils avaient sans doute raison, mais à l'époque je leur en ai beaucoup voulu. Puis ce fut le premier contrat, le premier cachet, le premier argent gagné avec ma voix et ma guitare.
J'ai fait venir ma femme et mes deux filles. Nous avons trouvé un petit appartement modeste, sans confort, mais nous y étions heureux tous les quatre. C'est alors qu'est née ma troisième fille. J'étais comblé.

En 1957, je suis passé à l'Alhambra avec Zizi Jeanmaire. J'avais le trac, un trac fou, je voulais partir sans chanter. Puis ce fut le succès, le vrai succès, grâce à "Quand on n'a que l'amour". Le public cette fois-ci m'écoutait, m'applaudissait. Le soir dans ma loge, j'ai pleuré pour la première fois de ma vie.
Thérèse et les trois enfants sont repartis pour Bruxelles et c'est là le plus beau cadeau que j'aie pu faire à mon pays, à ma véritable patrie : la Belgique. Souvent je vais les voir, chaque fois que je le peux, et, tout ému, je retrouve Bruxelles, les amis, le vélo. Réussir pour moi, c'est tout cela. Que serais-je devenu sans eux, sans Thérèse surtout qui un jour, dans un gentil sourire, a su me dire; "Jacques, mon Jacques, je te veux heureux, tu dois essayer, tu dois réussir !".

 

 

 

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